CONCOURS DE NOUVELLES

RESULTATS 2015 - CATEGORIE LYCEE

Agathe LISSY - de St André de la Marche (49) 

Tel un oiseau

J’ai toujours aimé les gens. Les hommes, les femmes, les enfants. J’aime les animaux aussi, comme l’oiseau. Les oiseaux sont libres et leurs mouvements sont remplis de grâce. Je les admire quand, ensemble, je les vois voler dans la même direction, alors qu’ils ne savent pas ce qu’ils vont trouver à leur arrivée. Peut-être est-ce qu’ils n’auront pas de nourriture, ni d’abri. On pourrait même les tuer ! Pourtant, l’oiseau garde espoir. Il a foi en l’horizon, loin devant lui, autant que j’ai foi en la population du monde.

Qu’un homme soit grand ou petit, fort ou mince, brun ou chauve, il a un impact sur le monde. Il peut décider de l’améliorer, ou de le laisser se dégrader.

J’aime ces hommes qui ont dans le regard des étoiles qui brillent. Elles sont la preuve de leur amour, de leur gaité, ou de leur espoir. C’est tout ce dont j’ai besoin. L’espoir.

A la mort de ma mère, j’ai tout perdu. Elle était la seule famille que j’avais, et le seul soutien sûr. J’avais dix-neuf ans et plusieurs années d’études devant moi avant de devenir avocate. Tout s’est écroulé et pendant plusieurs mois je n’ai pas réussi à m’exprimer, je me suis enfermée. Mes amis étaient trop loin pour me venir en aide et beaucoup n’étaient pas au courant.

Ma mère est morte dans un accident de voiture. Le conducteur du véhicule qui l’a percuté était ivre. A son procès il a reconnu ses torts. Devant mes larmes il a tremblé, il a voulu s’excuser auprès de moi mais je me suis enfuie. Une autre personne aurait peut-être voulu se venger, lui cracher à la figure toute sa haine mais je ne l’ai jamais détesté. Le seul sentiment que j’ai eu était la tristesse, une tristesse si profonde qu’elle m’a éloigné de la réalité.

C’est l’histoire d’un livre qui m’a sauvé. L’héroïne avait été victime de violence pendant son enfance, et en a souffert toute sa vie. Un ami lui a présenté des centaines de personnes venant de toutes les nationalités du monde. Ils lui ont parlé de leur culture, de leurs croyances et de leur vie. Elle s’est rendu compte qu’à l’autre bout de la planète des peuples entiers souffraient plus qu’elle, qu’ils gardaient la tête haute pourtant. Elle a voulu leur rendre visite, dénoncer les injustices. Elle est décédée avant de pouvoir toutes les citer.

J’ai dévoré les deux cents pages de ce roman en quelques heures, et le lendemain, je m’achetais un billet d’avion pour l’Australie. Sans retour. Pourquoi l’Australie ? Je ne sais pas. C’est tellement loin, tellement différent de nous que j’ai voulu tenter l’aventure. Plus rien ne me retenait en France ; je n’avais plus envie d’étudier, de vivre seule dans la maison que j’avais partagé avec ma mère. Je venais de trouver le meilleur moyen d’utiliser son héritage. Elle m’avait légué assez d’argent pour que je m’achète deux voitures, un appartement et une grande maison, des vacances de rêve et une nouvelle garde-robe digne du plus grand top model.  Je ne voulais rien de tout ça, j’étais jeune, célibataire, sans enfants, je voulais profiter de ma vie pour aider ceux qui en avaient besoin.

Je suis restée trois mois en Australie, la « réserve des kangourous » comme l’appellent les Américains. C’est vrai, on en trouve beaucoup là-bas, mais ce ne sont pas les seuls animaux que j’ai vu ! Un certain nombre était endémique d’ailleurs. J’ai aimé le fait que les saisons soient inversées, qu’il y ait trois fuseaux horaires pour un seul pays ! J’ai aimé les plantes comme le waratah, aux couleurs si vivifiantes. J’ai pris plaisir à découvrir la Grande Barrière de Corail, me promener dans la forêt vierge et tropicale de Daintree, faire de la plongée au récif de Ningaloo. Je considère le lac Hillier, sur Middle Island, comme le plus bel endroit au monde. J’ai survolé en hélicoptère cet étendu de rose avec des yeux d’enfants. Je souriais enfin, et avait retrouvé l’envie de vivre. J’avais tellement de choses à découvrir.

Sur l’Ile rouge, tout était différent. La pauvreté était partout, comme l’insécurité. On m’avait informé d’une agression de touristes sur la plage d’Anakao par une bande armée. Les voyageurs avaient voulu admirer le coucher du soleil, mais les hommes en avaient profité pour leur voler leurs sacs et vider leurs poches. J’ai eu beaucoup de mal à supporter le sentiment de danger permanent autour de moi, les règles que je devais suivre pour éviter d’avoir des ennuis avec qui que ce soit.

En moins d’une semaine, j’étais en Amérique avec une nouvelle amie. Dans l’avion nous avons sympathisé, elle était française et partait pour vivre à New York pendant six mois. « Le rêve américain, elle m’avait dit, m’a poussé à prendre cet avion et à tenter ma chance. J’aimerais être chanteuse mais en Europe, personne n’a voulu de ma voix. » Elle aussi avait de l’espoir pleins les yeux. Elle me parlait avec énergie, de grands gestes et un large sourire dessiné sur son visage d’enfant. Nous avons échangé nos numéros de téléphone au cas où on pourrait se revoir. Elle m’a serré dans ses bras pour me dire Au revoir. Sa chaleur m’a fait du bien. Aux Etats-Unis j’ai bien sûr visité des dizaines de musées, photographié les monuments les plus connus mais aussi les plus insolites. Surtout, à New York, j’ai fait beaucoup de bénévolat. Avec City Harvest, j’ai distribué de la nourriture aux personnes les plus démunies. J’ai couru des centaines de kilomètres avec des personnes fragiles grâce à l’association Back on my Feet. Grâce à un entrainement hebdomadaire, elles ont repris confiance en elles et ont perdu du poids. Ce que j’ai préféré, c’est de donner des cours ludiques à de jeunes enfants qui n’avaient pas la chance d’aller à l’école, quel que soit la raison. Avec Mentoring USA, je me suis vraiment sentie utile. Les familles me remerciaient à chaque leçon, leur sourire était une vraie reconnaissance.

Partir a été très dur. Je suis restée un an à découvrir des nationalités différentes, des familles extraordinaires et des bénévoles surhumains. Leur dire Adieu m’a fait très mal.

Je suis partie au Japon avec mon amie, Léa, que j’avais rencontré dans l’avion. Elle n’avait pas trouvé de maison de disque qui aurait aimé lui écrire un album mais elle n’avait rien perdu de son enthousiasme. Elle parlait sans interruption et quand elle comprenait que la personne en face d’elle ne l’écoutait plus, elle faisait de plus grands gestes pour attirer son attention. Je riais.

Au pays des Samouraïs, nous nous sommes détendues. Des maîtres bouddhistes nous ont initié l’art d’être zen, de ne pas parler, de ne plus penser qu’à soi-même. Je me suis retrouvée avec mon esprit, avec le temps j’ai appris à trouver la paix intérieure que tout être devrait avoir.

Avec cette sérénité j’ai découvert vingt autres pays, tous plus intéressants les uns que les autres. En Allemagne j’ai pu boire de la bière et rencontrer un bel homme blond. J’ai fait la sieste à Madrid et fait la fête dans toute l’Espagne. J’ai mangé les meilleures pizzas au monde en Italie, dansé la Samba à Rio et fait du yoga dans les parcs indous. Avec chance, je n’ai pas été obligée de manger du chat en Chine ni de boire toute la journée du thé au Royaume Uni.

J’ai vécu dans des pays où la vie était bien plus dure. En Ethiopie, où j’ai voulu soutenir des familles dont le fils était parti dans un pays européens, la tristesse m’avait envahie. Les mères s’affolaient de voir partir les jeunes, de savoir qu’ils souffriraient également ailleurs. Ils gagneraient peut-être plus d’argent, mais le mépris de la population envers les étrangers ne disparaîtra pas facilement. Pendant mon séjour, une nouvelle m’avait fait trembler : dix-sept Ethiopiens, tous chrétiens orthodoxes, avaient été tué par balle par des militants djihadistes. Ces derniers avaient filmé leur massacre. Seuls des monstres pouvaient infliger cela à des hommes et à leur famille. Laisser ce peuple souffrir seul a été un déchirement, plus important que celui que j’ai ressenti en partant des Etats-Unis. Je savais que le combat des Ethiopiens n’étaient pas fini et j’ai pris peur pour eux.

Durant ces onze ans de ma vie, ces années enrichissantes, je n’ai pas cessé de rencontrer des personnes formidables. Léa était la première, mais elle n’a pas pu me suivre aussi longtemps que je l’aurais aimé, elle a eu la chance d’être acceptée dans une comédie musicale anglaise. Nous avons gardé contact, et dès que je le pourrai, je lui rendrai visite. J’ai fait connaissance de deux médecins au Niger, tous les deux venaient de Paris, comme moi. Ils s’étaient portés volontaires pour assurer des soins pendant une durée indéterminée dans l’un des pays les plus pauvres au monde. Ils étaient les personnes les plus généreuses que je n’avais jamais rencontré. Ils m’ont été d’une grande aide quand il fallait affronter tous les jours la misère de ce pays. Je les ai quitté au bout de deux mois, en leur promettant de revenir avec des outils adaptés à la pratique de la médecine. Puis, j’en rencontré une petite fille qui m’a bouleversé par ses questions : « Pourquoi est-ce que à la télé je ne vois que des hommes qui se battent ? C’est bête, ils vont se faire mal. Ils sont tous fâchés pour la même chose tu crois ? Ma maman me dit que les adultes se fâchent plus que les enfants parce qu’ils ont plus de responsabilités. C’est quoi les responsabilités d’abord ? C’est se battre ? Je ne veux pas grandir alors, ah ça non ! Tu te bats toi ? » Elle avait six ans. Je ne lui avais pas répondu, je l’avais prise dans mes bras. Tous ces conflits dans le monde touchaient plus de personnes que je ne l’aurais cru. Pour cette petite fille, j’aurais aimé pouvoir stopper toutes les guerres et la laisser grandir là où elle le voudrait, sans courir de danger. Enfin, il y a eu ma plus belle rencontre.

Arthur m’a offert un verre sur une plage de Tahiti. Il était bronzé, grand et très musclé. A l’hôtel, nos chambres étaient très proches l’une de l’autre, nous nous sommes retrouvés tous les soirs pour discuter. J’ai voyagé dans ses yeux, d’un bleu profond. Il m’a proposé de rentrer avec lui en France. Ce jour-là, j’ai refusé. Il me restait tellement de pays à découvrir. Il n’a rien voulu savoir : il m’a accompagné dans toutes mes aventures. Les paysages devenaient plus beaux, les moments plus intenses et alors j’ai compris que n’importe où j’irais, ça serait toujours beau puisque Arthur serait avec moi. C’est moi qui lui ai proposé de rentrer en France. Là-bas, il m’a demandé en mariage.

L’espoir ne m’a jamais quitté.

Agathe LISSY