CONCOURS DE NOUVELLES

RESULTATS 2015 - CATEGORIE COLLEGE

Constance PICHEVIN - de Paimpont (35) (en classe de 5ème)

Voyage dans l'univers de la vie

Je fais partie des gens du voyage. Je suis née d'une curieuse manière. Ma mère étant une tzigane et mon père un français, ils s'étaient rencontrés lors d'un voyage de la famille de ma mère en France. Ma mère était restée durant un mois sur un terrain voisin de chez mon père. Et, neuf mois après, je suis née. Certes mes grands-parents étaient en colère, mais ils aimaient leur fille, et lui pardonnèrent. Malgré cela, ils posèrent deux conditions. Je devrais avoir le prénom qu'ils choisiraient et quand j'aurais  douze ans, je devrais aller vivre chez mon père, jusqu'à ma majorité, où je serai libre de décider de ma vie. Ma grand-mère voulut m'appeler Maria.

 

Les douze premières années de ma vie, je les passai heureuse. Je n'avais pas d'amis, mais j'avais la plus grande famille qu'il puisse exister. Dans cette famille, nous ne distinguions pas ceux qui descendaient de même famille. Nous étions unis. Unis par le voyage. Ensemble, nous avions vu le monde. Les montagnes, la mer, la forêt, la campagne, la ville. Nous avions connu l'univers de la vie.

Mon bonheur était intense. Une semaine avant mes douze ans, et donc mon départ chez mon père, ma mère tomba gravement malade. Ma grand-mère s'occupa de moi, et continua de m'apprendre le français, tâche que ma mère entreprenait depuis mes sept ans. Le jour de mon anniversaire se passa tristement. Mon grand-père, qui nous avait emmenées en Bretagne,  rassembla mes affaires et les mit dans la valise. Pendant ce temps, je disais au revoir à ma grand-mère et à ma mère. Celle-ci étant alitée, je ne pouvais la serrer dans mes bras. Alors, je répandis tout mon amour et ma tristesse sur ma grand-mère. Je lui promis de les retrouver à mes dix-huit ans, et de leur écrire des lettres. Mon grand-père me promit de m'envoyer un gros colis à chacun des mes anniversaires et à chaque Noël. Il me dit même qu'ils viendraient à mon dernier anniversaire avant ma majorité. Puis, mes grands-parents me conduisirent jusqu'à chez mon père.

Quand il nous ouvrit, il me sourit timidement. Il était brun, avec des yeux noisettes et une fine moustache. Mais le plus étonnant était sans nul doute ses taches de rousseurs qui s'étalaient partout sur son visage.  Après un dernier au revoir, mes grands-parents partirent dans la roulotte, où ma mère agonisait à cause de la maladie. Je vis la caravane s'éloigner, emportant les trois êtres qui m'étaient les plus chers pour six longues années.

 

Je découvris vite que mon bonheur ne serait plus jamais le même. Nous restions toujours dans la même maison et nous ne nous rassemblions jamais autour du feu pour chanter avec une guitare. Je vécus seule avec mon père durant le premier mois. Celui-ci approfondit mes connaissances en calcul et en lecture. Il m'expliqua le système de l'école, et m'apprit que je serais en sixième. Il m'enseigna l’histoire et la géographie, ainsi que les sciences. Cette nouvelle vie me fatiguait. J'avais l'habitude de liberté et de paysages nouveaux, ce qui était tout le contraire chez mon père. Heureusement, celui-ci était gentil avec moi, et à la fin des cours qu'il me donnait, je pouvais aller jouer dans le jardin. Il y avait une balançoire accrochée à un arbre. Mon père me confia qu'il adorait s'y balancer quand il était jeune. J'aimais aussi cela. J'avais l'impression de m'envoler quand je m'y balançais, et donc d'être libre.

La dernière semaine avant que j'aille pour la première fois de ma vie à l'école, mon père décida qu'il serait mieux pour moi de me balader dans la ville, afin de déjà me faire des amis. Aussi, il m'emmena visiter les alentours. Il habitait à Dinard, et nous n'étions pas loin de la côte. Le matin, j'entendais les vagues quand je me réveillais. C'était, je dois l'avouer, beaucoup plus agréable que de se lever à cause du brouhaha des adultes qui préparaient le petit déjeuner. Quand je vis de près la mer, je fus éblouie. Non pas par la beauté, j'avais déjà vu de plus belles mers, mais par le fait que je pourrai aller me baigner en rentrant de l'école, et du bonheur qu'elle me réserverait.

Mon père me demanda si j'avais déjà mangé un bonbon. Je ne savais pas ce que c'était, et il voulut me faire goûter. Je ne regrette pas d'avoir accepté !..

Durant la fin de la semaine, j'allais tous les jours me promener dans la ville. Et, le dernier jour, alors que j'étais à la plage, une fille qui devait avoir mon âge courut à l'eau. Malheureusement pour elle, elle trébucha, et tomba la tête la première dans la mer. Je me précipitai vers elle. J'avais toujours eu l'habitude d'aider le gens en difficulté. Quand je voyageais avec les tziganes, nous étions tous solidaires. Je l'aidai donc à se relever. Elle me remercia en riant.

« Merci beaucoup ! Quelle idiote je fais !

-Mais non, tu n'es pas idiote ! dis-je gentiment.

-C'est vrai que dans ce cas-là, je dirais plutôt maladroite, me dit-elle en rattachant ses cheveux roux. »

Je remarquai qu'elle avait une écorchure sur le genou. Je le pointai du doigt, et lui dis :

« -Tu es blessée.

-Ah, oui ! Mais ce n'est rien. En fait, quel est ton nom ? Je ne t'ai jamais vue, tu es en vacances ?

         Euh...non. Je viens d'emménager ici. Je m'appelle Maria. Et toi ?

         Anne. Je m'appelle Anne. »

Une dame qui devait être sa mère l'appela alors, et la rousse me dit :

« Bon, eh bien au revoir ! J'espère qu'on se reverra ! Et merci encore. »

Sur ces mots, elle partit en courant rejoindre sa mère et une fillette qui devait être sa petite sœur.

 

Quelques minutes plus tard, je rassemblai mes affaires et rentrai chez moi. Mon père reprenait son travail le lendemain. J'étais touchée qu'il l'eut arrêté pendant un mois pour moi.

Je passai devant la boulangerie, et j'y pénétrai, car mon père m'avait demandé de rapporter deux baguettes de pain et une brioche. Il m'avait même autorisé à me prendre quelques bonbons avec l'argent restant. Je fis ma commande. Pendant que la boulangère me préparait un sac, j'entendis la sonnette retentir, ce qui annonçait l'arrivée d'un nouveau client. Je me retournai, et quelle ne fut pas ma surprise de voir Anne entrer !..Elle me salua d'un sourire, puis me lança : « Salut Maria ! ». Je lui répondis puis prit mes bonbons, mes pains et ma brioche. Je remerciai la boulangère et pris le chemin de ma maison. Tout d'un coup, j'entendis des bruits de pas derrière moi. Je me retournai, et vis que Anne me rattrapait. Je m'arrêtai pour l'attendre. Elle avait un sachet rempli de bonbons dans les mains. Elle me dit simplement :

« Et si on faisait le chemin ensemble ?

-D'accord ! lui répondis-je.

-Tu as des frères et sœurs ? me demanda-t-elle en croquant dans un Carambar.

-Non...en tous cas, plus maintenant.

-Que veux-tu dire ? me demanda-t-elle en me regardant avec des yeux inquiets. »

Je me mordis la lèvre, et puis je me décidai à lui narrer mon histoire. Elle resta un moment silencieuse, puis me dit :

« C'est...ça doit être dur...de recommencer une vie sous un tout autre angle.

-Pour l'instant ça va, mais j'ai peur du collège. Je ne suis jamais allée à l'école, et je connais très peu de choses ! En plus, je ne connais personne.

-Il n'y a qu'un collège ici, on sera dans le même !

-Mais...tu as déjà des amis, non ?

-Euh...non... C'est ici que j'habite, alors à demain ! dit-elle rapidement, comme pour m'inciter à changer de sujet.

-J'habite juste en face...murmurai-je.

-Quoi ?  Mais c'est génial ! Si tu veux, demain, je t'attends et on fera le chemin ensemble !

-D'accord ! Alors à demain ! »

Nous nous quittâmes sur ces bons mots.

 

Le lendemain, je m’éveillai une heure en avance. Je me préparai en hâte. Avant de partir, mon père me fit mille recommandations, et me souhaita de me faire des amies. Je sortis alors, en lui faisant un signe de la main. J'avais un cartable qu'il m'avait acheté il y avait deux semaines de cela. Dedans, j'avais le matériel scolaire demandé. Je commençais à attendre devant la maison d'Anne, quand un grand doute me saisit. Et si...elle m'avait menti pour se moquer de moi ? Elle m'avait dit  de l'attendre, alors qu'elle serait partie plus tôt, me faisant arriver en retard dès le premier jour ? Un frisson parcourut ma nuque. Heureusement, je la vis sortir de chez elle, et elle me rejoignit en courant, son éternel sourire sur les lèvres. Nous commençâmes à marcher, tout en discutant. Anne m'expliqua que la semaine suivante, nous aurions une sortie scolaire à Brocéliande, une forêt très connue. J'en étais ravie car j'allai enfin voyager, chose que je n'avais plus faite depuis un long mois. Je songeai alors à ma mère, qui était malade à mon départ, et à mes grands-parents. Un sentiment de tristesse m’envahit, mais je le chassai. Il était hors de question pour moi de me mettre à pleurer dès mon premier jour d'école.

 

Nous arrivâmes devant le collège. Il était petit, mais les élèves avaient l'air de bien s'entendre. Au moment où nous pénétrâmes dans l'enceinte, la sonnerie retentit, et tous les élèves allèrent se ranger. Je ne savais pas dans quelle classe j'étais, mais je restai collée à  Anne, effrayée. Celle-ci me conduisit jusqu'à une dame aux cheveux gris relevés en chignon, à l'air stricte.

« C'est la directrice, me murmura mon amie, dis-lui qui tu es. »

Je murmurai un vague bonjour, puis je me présentai et demandai en quelle classe j'étais. Elle me jaugea du regard, puis consulta un papier, et me dit que j'étais en 6èmeB.  Anne ne put retenir un cri de joie, et j'en conclus que c'était aussi sa classe. Nous nous sourîmes et nous allâmes rejoindre notre rang. Tous les élèves me regardaient avec des yeux étonnés. Enfin, notre professeur de musique arriva, et nous nous rendîmes dans sa salle. Anne me dit que c'était aussi notre professeur principal. C'était une jeune dame aux cheveux longs et blonds, et aux yeux marrons noisettes.

Elle me désigna une place au fond de la salle, puis attendit que tous les élèves soient installés et que le silence règne avant de me présenter. Puis, nous entamâmes le cours. Je remarquai que plusieurs filles regardaient Anne hargneusement, et je ne compris pas pourquoi. Du moins, pas avant de l'avoir entendu chanter. Ma nouvelle amie avait une voix mélodieuse, qui ne passait pas inaperçue.

 

À la fin du cours, le professeur me donna un papier parlant de ma sortie scolaire. Je devais avoir l'autorisation de mon père pour y aller. Je souhaitai intérieurement qu'il dise oui.

La journée s'écoula. À la fin, j'étais épuisée. Le collège avait un rythme fatigant, et je ne sais où je puisai l'énergie pour rentrer chez moi. Anne, elle, ne semblait pas le moins du monde fatiguée. Elle devait avoir l'habitude.

Une fois rentrée, je m'aperçus que mon père n'était pas revenu du travail. Je décidai de prendre mon goûter, puis faire mes devoirs. Mais quand je les eus finis, je commençai vraiment à m'ennuyer. Heureusement, mon père rentra. Je lui parlai tout de suite de la sortie scolaire. Il me dit qu'il voulait bien que j'y aille, mais qu'il était quand même inquiet. Finalement, il signa le papier.

 

Une semaine plus tard, je prenais un sac avec mon pique-nique, un imperméable (malgré la chaleur étouffante de l'été), de quoi prendre des notes, une boussole et une lampe. Mon père avait insisté pour que je prenne ces deux derniers, au cas où je me perdrais. Je fis le trajet jusqu'à l'école avec Anne, comme d'habitude. Notre classe se rassembla, et nous montâmes dans le car avec notre professeur de sciences, notre professeur principal, et notre professeur de français.

Je m'assis à côté d'Anne et l'attente commença. Heureusement, avec Anne, on ne s'ennuyait jamais. Nous fîmes plusieurs jeux, comme « Action ou vérité ». Je me pris à revoir les anciens paysages que j'avais vus, tandis que j'admirais celui qu'il y avait sur notre route. Enfin, nous arrivâmes à Paimpont. Nous commençâmes par aller à l'office de tourisme, où nous prîmes des cartes pour avoir des itinéraires.

Puis, nous nous rendîmes à la fontaine de Barenton. Nous devions beaucoup marcher, et beaucoup d'entre nous étaient épuisés. J'avais l'habitude, depuis ma naissance je passais mon temps à marcher. Je fus éblouie par la beauté de la forêt. Elle avait quelque chose de plus que les autres...de la magie. La fontaine de Barenton était belle, et lorsqu'on fermait les yeux et qu'on écoutait, on pouvait entendre un son cristallin. Je crois m'être à moitié assoupie, car ce n'est que quand Anne me donna un coup de coude que je rouvris les yeux. Le son cristallin s'était transformé en la voix de ma mère. Je me revis, assise autour du feu, sur ses genoux tandis qu'elle chantait.

Après cela, nous nous rendîmes au Val sans Retour. Le paysage était d'une beauté époustouflante. Là, encore, je fermais les yeux et j'entendis le chant d'une hirondelle. Je me rappelai encore de l'époque où j'étais une tzigane. Je jouais dans l'eau d'une rivière, quand une hirondelle s'est posée sur un rocher tout près de moi. Elle s'est mise à chanter.

Je me tournai vers Anne, et lui dis de faire comme moi. Elle ferma les yeux. Et j'eus l'impression qu'elle tressaillit à un moment. Quand elle rouvrit les yeux, elle dit simplement : « C'est...magique. ».

Après le Val sans Retour, nous continuâmes à marcher, avant qu'un garçon du nom de Arthur (était-ce un hasard?) s'écria : « Où est Armand ? »

Armand était un garçon plutôt robuste, mais très maladroit. Il cassait tout ce qui lui tombait sous la main. Inquiets, les professeurs firent l'appel. Il ne manquait que Armand. Tandis que notre professeur principal partait à sa recherche, les deux autres tentaient de calmer certains des élèves qui étaient persuadés que la fée Morgane avait enlevé leur camarade et l'avait enfermé dans son Val.

Heureusement, quelques minutes plus tard, Armand réapparut avec notre professeur, qui nous expliqua que celui-ci avait trébuché et nous avait perdu de vue ensuite.

Nous prîmes notre pique-nique en cercle, tout en discutant, les uns avec les autres. Après avoir fini, nous reprîmes notre route.

Nous nous rendîmes au tombeau de Merlin, où nos professeurs nous apprirent deux légendes différentes. Je préférai celle où Merlin se retirait par amour pour Viviane.

Encore une fois, je fermai les yeux pour écouter, mais je n'entendis rien. Alors,je rouvris les yeux, et examinai le tombeau. Je sentis alors que le sol tremblait sous mes pieds. Je me mis à genou, et pris un peu de terre dans mes mains. Je sentais que mes camarades me regardaient, mais aucun d'entre eux n'avaient voyagé comme moi avant d'aller à l'école. Soudain, la terre que je tenais dans mes mains en glissa, telle de l'eau. Il y avait aussi de la magie ici. Mais dans la terre.

Je réfléchis. La fontaine de Barenton avait une magie provenant de l'eau. Le Val sans Retour en avait une venant de l'air. Ici, c'était la terre. Il ne restait qu'un seul élément qu'on n'avait pas rencontré. Le feu.

 

Le dernier lieu que nous allions visiter était le site de l'Arbre d'or. Je dois avouer que je ne voyais pas d'où le feu pourrait venir. Je fis part de mes suppositions à Anne, qui s'étonna de mon lien avec la nature. Je lui répondis que c'était ceci que nous privilégions, nous les tziganes. La nature.

On prit le car pour  aller jusqu'au sentier menant à l'Arbre d'or. Et la marche reprit. Enfin, elle porta ses fruits, car nous arrivâmes devant l'Arbre. Je ne voyais pas d'où la magie viendrait. Tandis que nos professeurs expliquaient la légende, je réfléchis. Je connaissais cette légende par cœur, de toutes façons. Ma mère me l'a raconté souvent, quand j'étais enfant. Je fermais les yeux. Je n'entendais que la voix monotone de notre professeur de sciences. Je les rouvris et regardai les arbres brûlés. Je m'approchai d'un d'entre eux, discrètement. Anne me regardait, étonnée. Nous n'avions pas le droit de nous en approcher. Je sentis alors l'odeur de brûlé des arbres. Ils avaient conservé cette odeur pendant tous ces siècles ? C'était magique. Soudain, j'eus une illumination. Le feu brûle ! Donc...ce n'était pas l'arbre d'or, mais les quatre arbres brûlés qui produisaient la magie de ce lieu ! La magie provenait du fait qu'ils conservaient la trace que le feu avait laissé sur eux. Je retournai à côté d'Anne. Personne ne m'avait vue. Dès que notre professeur eut terminé son monologue, j'expliquai tout à mon amie. Celle-ci était souriante aussi.

La sortie touchait à sa fin. Sur le chemin pour retourner dans le car, je vis deux jolies petites pierres, l'une à côté de l'autre. Je les montrai à mon amie, puis les ramassai. Je lui en donnai une.

« Ainsi, nous serons toujours unies !dis-je.

-Je n'avais jamais eu d'amie avant toi, Maria ! Et l'amitié c'est...

-Fabuleux ! Terminai-je avec elle en chœur. »

 

Je songeais qu'en fait, même si nous ne voyageons pas, le simple fait d'être heureux est un voyage dans l'univers de la vie !

Constance PICHEVIN